Texte _ Denis Girard

C’est bon d’écouter le silence
On a dit qu’on l’avait muselé
Alors on est sûr de ne rien entendre
Mais c’est surprenant au début
Mais si on prend la peine de tendre l’oreille
Sans se laisser distraire par les mouches qui volent
C’est renversant de le constater
Mais il parle le silence et
Ce qu’il raconte on a beau se boucher les oreilles
On est forcé de l’entendre

Il parle des gens qui courent sans trop regarder
Ils ont une idée en tête et elle prend toute la place
Ils veulent y arriver coûte que coûte, alors
Ils foncent
Tous ces gens qui se démènent et frappent les pavés pour arriver à temps
Ça fait un bruit d’enfer, comme une armée marchant au pas vers le combat
Et c’est normal car les soldats eux aussi ils se dépêchent
Pour faire quelque chose qu’ils n’aiment pas
Comme tuer des gens

Le silence observe et regarde ceux qui le brisent
Et il se tord de rire, un rire de la tête qui passe inaperçu
Un rire sur l’inutile, sur les bruits de l’existence
Un rire sur les grimaces que font les gens lorsqu’ils font quelque chose qu’ils n’aiment pas
Et il n’y a rien de plus facile que d’écouter la raison
Et elle est forte la voix de la raison
Elle veut toujours nous forcer à faire ce que l’on déteste
Et elle gueule des ordres à tout rompre dans le fond de chaque conscience pour se faire écouter
Et l’humanité l’écoute religieusement
Et laisse les agendas contrôler la vie au rythme du tic-tac
De l’horloge que l’on a greffée au bras de chaque personne humaine
Pour contrôler le travail qui ne nous donne souvent rien
Pour nous remplir le cœur et qui nous use au jour le jour

Le silence ouvre son œil immense sur la beauté de la lumière
Il court les sous-bois et flâne à la surface des lacs
Se laisse bercer par le vent dans la crinière des arbres
Le silence est sourd comme un pot, rien ne peut l’atteindre
Il ne reçoit d’ordres de personne
Il ne se presse jamais pour répondre aux attentes des autres
Il a tourné ses oreilles vers l’intérieur de lui-même
Et vit au rythme du souffle qui monte en lui et redescend, inlassablement
Rien ne vient bouleverser son rythme si ce n’est le secret de sa paix intérieure
Le silence est amoureux, et c’est cela qui lui a bouché les oreilles à jamais
Car tout le monde le sait, les amoureux sont seuls au monde et s’aiment en silence
Au fond de lui, la passion le transporte et il tremble de plaisir devant tout ce qu’il découvre
Il voudrait crier tellement son émotion est grande
Mais il ne veut rien gâcher alors il se tait et reste bouche cousue
Pour ne rien gâcher

La beauté l’a hypnotisé et il la regarde changer de forme à chaque seconde
Ici c’est une jeune femme gracieuse fragile dans sa robe blanche
Là un hibou aux yeux jaunes, immobile au milieu du bois
Il connaît aussi la laideur qui surgit partout avec fracas
Et brise l’harmonie avec le malaise qui la fait souffrir dans chaque parcelle de son corps
Et il se sent si triste quand il lui fait face qu’il préfère ne rien dire
Le silence voudrait parler de la mort qui est si semblable à tout ce qu’il connaît de la vie
Il l’entend qui guette et ça l’inquiète
Car il ne sait jamais quand elle va frapper

Alors il choisit de se moquer d’elle
Car il connaît tous les petits bruits qui la trahissent
Et il sait qu’il l’accompagnera partout où elle ira
Et son rôle de témoin lui donne le pouvoir de celui qui sait
Qu’elle n’a aucun plan aucune stratégie et qu’elle est un peu folle et
Regrette toujours tous les gestes qu’elle pose et répète sans cesse que
Ce n’est pas sa faute et
Elle tente de se laver les mains, mais elle hurle lorsqu’elle aperçoit les taches rouges
Du sang qui lui souille les mains

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