Texte _ Denis Girard
Un seul mot
Le bon mot
Le mot juste
Prononcé
Sans penser
Insensé
Illogique
Mais si vrai
Qu’on savait
Qu’il faudrait
Le crier
Pour tous ceux
Qui se taisent
Les mots vont me sauver la vie comme une barque de sons sur les marées du silence
Tangue, tangue les cris de ma démence
Donnez-moi la clef maîtresse
Celle qui ouvre les ciels gris
Tous les royaumes ensevelis
Les cités d’or et de lumière
Les plus sûres de toutes les frontières
Les secrets qui dorment écrits
Sur la paume d’une reine morte
Les mots font les histoires
Gardent le plus pur de la mémoire
Ils se connaissent tous entre eux
Ils ingurgitent le pire et le mieux
Susurrent des confidences
Déclarent les guerres
Signent les paix, avec la même confiance
Crie la douleur et la jouissance, avec le même plaisir
Comme si tout cela avait un sens
Les mots n’écoutent pas ce qu’ils disent, renient ce qu’ils ont signé
Les mots ont mauvaise conscience
Vivent de trahison en exil
Les mots vivent sur une île
Sur une mer d’inconscience
Les mots ne servent qu’un seul maître
C’est lui qui les a inventés à son image et à sa ressemblance
Les mots sont humains
Il ne faut pas se surprendre s’ils ont un prix
Celui que fixe la bourse de New York et de Tokyo
Les mots voyagent en première
Sur tous les continents de la terre
Il faut travailler longtemps pour bien les connaître et pour les découvrir
Les laisser vous envahir
Il faut arrêter de penser et les laisser vous guider
Croyez-moi ils vont décider
Tous les écrivains sont des marionnettes
Ils écrivent pour donner un sens à leur pauvre vie
Comme moi menotté à ce clavier à croire et à espérer
Retrouver quelques miettes de mon essence sous la sueur et l’encre
Les mots n’ont pas d’oreille
Ils parlent sans s’arrêter
Pour vite se libérer
Du bâillon du silence
Les mots cherchent le sens
Au fond sous la routine
Les mots nous imaginent
Libérés de nos panses
Les mots sont nos alliés
Pour tout recommencer
Au cœur de la nature
Sans combat, sans rupture
Les mots sont magiciens
Les solutions parfaites
Les projets, les recettes
Jaillissent de nos mains
Des mots automatiques
Enchaînés mécaniques
L’invention synthétique
Des humains erratiques
Ils peuvent m’aider, je suis désemparé
Je cherche un sens à ma vie
Ne riez pas je suis meurtri
De tous les silences de la terre
Sur les plus lourds mystères
Qui m’entourent et me tourmentent
Toujours cette folle démence
De ne pas savoir ni le comment ni le pourquoi de la vie
Tous les désarrois les délits contre la nature humaine
Sur les plaines immenses et lointaines
Et puis tout près de moi la stupidité des lois
Qui s’érigent souveraines pour protéger les rengaines
De ce dieu très pourri
La très sainte économie
On ne peut pas être contre la richesse
Florissante et proprette
Tout habillée de blanc
Vêtue de soie et d’ornements
Toutes les vies de l’occident sacrifiées inutilement
À entasser des vêtements, des bijoux et des cassettes
Des voitures et des maisonnettes
Le dernier cri des ordinateurs, dévalué après une heure
Les pistolets de ces tueurs
Les forces armées de la terreur
Embrigadés contre la peur
De voir le mal en habit noir
Faire la course sur nos trottoirs
Derrière le bien en froufrou blanc
Pauvre victime de l’étranger
Venu pour nous assassiner
Et les étudiants très très sérieux
Qui étudient de leur mieux
Pour entrer sur le marché de la dépense
La panse pleine on s’en balance
De ceux qui se gaspillent dans la boucane
La poudre blanche et la bière dense
Il faut bien compter ses sous
Se tailler une place bien à nous
Un palais d’or sur une montagne
Entouré de jolies femmes épatées et subjuguées
Par ma riche virilité
Tous les hommes que j’aurais vaincus
Au jeu du marché et des écus
Attachés comme des infidèles
À mes pieds suppliant que j’épelle
Une fois leur pauvre nom
Pour les sortir de ce donjon
Médiocre et sans lumière
Des pauvres de la terre
Qui n’ont pas su faire des affaires
Où est le tiers monde
Celui qui meurt de faim
Qui se tire toujours dessus
Celui qui n’en peut plus
Mais qui possède des richesses naturelles
Tellement immenses et tellement belles
Qu’il y a toujours un bon samaritain
Qui l’aide un peu comme ça pour rien
Et se souvient soudain de la raison de sa venue
Faire du blé au plus sacrant et repartir en riant
Comment mettre à nu jusqu’à l’os
Comment mettre à l’os nu
Les complots les traquenards
Les doubles faces et les cigares
Les connivences les stratagèmes
De toutes les races humaines
Blanche, noire, rouge ou verte
La couleur de la peau ne peut pas nous aider
À retrouver la vérité
Un semblant d’humanité
Les loups sont dans la bergerie
Tous les jours en plein midi
Il faut fermer son cœur à clef
Notre voisin est détraqué
Paniqué, effrayé
Comme moi comme nous
Je cherche un homme avec une lampe à la main
Au milieu d’un désert
Le désert de la ville
En plein soleil au milieu de la foule
Parmi des étrangers sans yeux
Je cherche un homme qui fait vraiment ce qu’il aime
Le beau, le bien, le vrai, le pur
Ouvert sur sa profonde nature
Sans marcher sur les pieds de personne
Au-delà du ça de l’ego et du surmoi
Un être sûr de soi
Sans trop l’être évidemment
Et puis j’ai cinquante millions d’années
Ça vous cogne sur le nez
Et tous les pépères que je fréquente
Pris de la tête ou bien du ventre
Avec une litanie de petits maux
Comme le plus lourd de tous les fardeaux
Parlent de la retraite prochaine
Délivrance souveraine
Vers le vide et le repos
Et la mort certaine
Qui nous guette au tournant
Comme Marc, François et Richard
Qu’on a enterré en pleurant
Sur notre propre misère
Et il faut donc en profiter
De l’argent qu’on a amassé
Enfin le mot est lâché
Avant que de crever
Et c’est à cette heure de vérité
Que toute la futilité
Des grandes quêtes humaines
Apparaît violente et soudaine
Sous son plus triste jour
Les mots ont un secret pouvoir
De s’entrechoquer dans le noir
De ma petite cervelle
Et de rechercher sur le clavier
Lumière et clarté
La rime ne peut pas se tromper
Elle ne sert aucun maître
Elle peut autant faire apparaître
La bêtise la plus charmante
Et la profondeur la plus affolante
Qu’on s’en vexe ou s’en enrage
Les mots accouchent de trous noirs
Dans la galaxie des espoirs humains.
Les mots vont me sauver la peau
Je marcherai au fond des eaux !